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FAQ : Les pouvoirs de police du maire en période d’état d’urgence sanitaire

Publiée le 06/05/2020 - 
Couvre-feu, limitation des horaires de footing, obligation de port du masque, interdiction de ventes d’alcool... de nombreux maires ont été amenés à prendre des arrêtés de police pour préserver la santé de leurs administrés ou limiter les troubles à l’ordre public. Mais le peuvent-ils vraiment et, si oui, sous quelles conditions et dans quel cadre juridique ?

L'Observatoire SMACL répond à toutes ces interrogations et délivre une synthèse précise en 10 questions-réponses pour aider les élus et les cadres territoriaux à la mise en œuvre de l'exercice de leur pouvoir de police en période d'état d'urgence sanitaire.

Photo Luc Brunet

"L'Observatoire SMACL a pour vocation de partager une expertise et une analyse sur les préoccupations des acteurs de la vie publique, les pouvoirs de police du Maire constituent un sujet essentiel dans l'actuel contexte   pour tous les élus et cadres territoriaux. Les procédures en référé-liberté contre les arrêtés municipaux de police visant à  limiter la propagation du Covid-19 se multiplient et interrogent quant à la latitude du maire dans l'exercice de son pouvoir de police en cette période d'état d'urgence sanitaire.",
précise Luc BRUNET, responsable de l'Observatoire SMACL.


Voici une sélection des questions essentielles :

1/ Les maires sont-ils légitimes à intervenir et peuvent-ils toujours prendre des arrêtés de police restrictives des libertés pendant la période d’état d’urgence sanitaire ?

Oui mais... : au titre de son pouvoir de police générale, le maire est garant du bon ordre, de la sûreté, de la sécurité et de la salubrité publiques sur le territoire communal. Il appartient ainsi au maire notamment de "prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux (...) tels que (...) les maladies épidémiques ou contagieuses (...)" (article L. 2212-2 5° du Code général des collectivités territoriales).

Ces dispositions sont à rapprocher de l’article L. 2212-4 du Code général des collectivités territoriales, selon lequel, "en cas de danger grave ou imminent (...) le maire prescrit l’exécution de mesures de sûreté exigées par les circonstances. Il informe d’urgence le représentant de l’État dans le département et lui fait connaître les mesures qu’il a prescrites".

Dans son ordonnance rendue le 17 avril 2020, le juge des référés du Conseil d’État confirme, contrairement à ce que soutenait la Ligue des Droits de l’Homme, que les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales, "autorisent le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune". Le maire peut ainsi prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’État, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements.


2 / Les pouvoirs de police spéciale de l’État neutralisent-ils le pouvoir de police générale du maire ?

Non mais les pouvoirs de police générale du maire sont très encadrés tout particulièrement en période d’état d’urgence sanitaire.
Si la police de lutte contre les pandémies relève de la compétence de l’État (article L.3131-1 du Code de la santé publique), cela ne dessaisit pas pour autant le maire de son pouvoir de police générale. De fait, l’article L1311-2 du Code de la santé publique dispose que les décrets pris pour la prévention des maladies transmissibles "peuvent être complétés par des arrêtés du représentant de l’État dans le département ou par des arrêtés du maire ayant pour objet d’édicter des dispositions particulières en vue d’assurer la protection de la santé publique dans le département ou la commune".


En moins d’un mois d’intervalle, le juge des référés du Conseil d’État a rendu deux ordonnances se prononçant sur l’exercice des pouvoirs de police du maire. Et les conclusions qu’il est possible de tirer de ces deux ordonnances sont très sensiblement différentes. Il faut dire que la première a été rendue sous l’empire du droit commun avec le concours de deux polices générales, juste avant l’adoption de la loi d’urgence du 23 mars, et que la seconde explicite le droit applicable en période d’état d’urgence sanitaire qui attribue un pouvoir de police spéciale à l’État.

De fait, la confrontation de ces deux ordonnances permet de conclure que les pouvoirs de police du maire s’exercent de manière différente selon que le pouvoir de police du maire s’exerce dans le cadre du droit commun ou dans celui de l’état d’urgence sanitaire :
 
1. Exercice des pouvoirs de police du maire en droit commun : une obligation lorsque les circonstances locales le justifient.
Dans son ordonnance du 22 mars 2020, le juge des référés du Conseil d’État a évoqué un véritable devoir pour les maires : "les maires en vertu de leur pouvoir de police générale ont l’obligation d’adopter, lorsque de telles mesures seraient nécessaires des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le justifient. » Il appartient ainsi au maire de prendre toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie par des mesures adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique lorsque les circonstances locales le justifient. Il appartient également aux autorités locales, rappelle le juge des référés, de délivrer une information précise et claire du public sur les mesures prises et les sanctions encourues, avec des piqûres régulières de rappel.
Mais cette ordonnance a été rendue avant l’adoption de la loi d’urgence du 23 mars 2020 qui a introduit un chapitre Ier bis relatif à l’état d’urgence sanitaire, comprenant les articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du Code de la santé publique. Dans son ordonnance du 17 avril, le juge des référés du Conseil d’État a reprécisé les contours de l’exercice des pouvoirs de police du maire en période d’état d’urgence sanitaire.

2. Exercice des pouvoirs de police du maire en période d’état d’urgence sanitaire : uniquement si des circonstances locales rendent indispensables de manière impérieuse des mesures de police, le tout sans compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par les autorités compétentes de l’État.
Dans son ordonnance du 17 avril 2020, le juge des référés Conseil d’État explicite les règles relatives à l’exercice des pouvoirs de police du maire en période d’état d’urgence sanitaire, au regard des dispositions introduites par la loi d’urgence du 23 mars 2020 : Le maire peut toujours prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune. Il peut, le cas échéant, à ce titre, "prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’État, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements". L’emploi de l’adverbe notamment démontre que l’interdiction d’accès à certains lieux n’est qu’illustratif et que les maires peuvent aussi, toujours sous réserve de circonstances locales particulières et du respect du principe de proportionnalité, prendre des arrêtés restrictifs de liberté.

"En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable ET à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’État". L’exercice du pouvoir de police du maire est ainsi doublement encadré : non seulement des circonstances locales doivent justifier de manière impérieuse (ce qui renforce leur caractère exceptionnel) l’édiction de mesures locales renforcées mais il faut également, et il s’agit là comme le souligne le professeur Mathieu Touzeil-Divina [2] d’une nouvelle condition posée par le juge, que les mesures de police prises par le maire ne compromettent pas la cohérence et l’efficacité de celles prises par les autorités de l’État, ni n’introduisent de la confusion dans les messages délivrés à la population par ces autorités.
Comme le relève Me Landot [3], cela conduit à mettre les pouvoirs de police du maire en "quasi-quarantaine" alors que dans le même temps, aucun arrêté préfectoral, n’a été suspendu, malgré l’édiction de mesures plus contraignantes pour les libertés qu’une simple obligation de port du masque.

 

3 / Existe-t-il une différence de régime juridique selon que la mesure de police s’applique de nuit ou en journée ?

Non. Dans son allocution du lundi 13 avril 2020, le Président de la République a approuvé les maires qui avaient pris des arrêtés imposant sur leur commune un couvre-feu mais les a dissuadés de prendre des mesures plus restrictives de liberté durant la journée. Il s’agit là d’une prise de position politique, dont il n’est pas l’objet ici de discuter la pertinence. D’un point de vue strictement juridique, que la mesure de police s’applique en journée ou de nuit, il n’y a pas de différence de régime : ce qui compte c’est que le maire puisse, sous le contrôle du juge administratif, justifier son arrêté par des circonstances locales particulières justifiant de manière impérieuse l’arrêté.

Dans un État de droit, la liberté est la règle, la restriction l’exception. Toute mesure de police, qu’elle s’applique de jour ou de nuit, doit à ce titre poursuivre un motif légitime et être proportionnée à cet objectif. Avant de prendre un arrêté, le maire doit ainsi toujours se demander s’il ne peut pas atteindre l’objectif recherché avec une mesure de police moins restrictive de libertés. A cet égard, la mesure de police doit être rigoureusement motivée au regard des circonstances locales particulières et limitée dans le temps et dans l’espace.

Le contrôle de proportionnalité comporte nécessairement une part de subjectivité et peut générer des incompréhensions de la part des maires qui ont pris des arrêtés, non par plaisir, mais par souci de préserver la santé de leurs administrés. D’où la nécessité d’être particulièrement rigoureux dans la motivation de l’arrêté au regard des circonstances locales qui seront analysées à la loupe par le juge. Une difficulté à motiver l’arrêté peut-être le signe d’une disproportion de la mesure envisagée.

En période d’état d’urgence sanitaire, l’exercice de pouvoir de police du maire est encore plus encadré. Il ne doit pas nuire à la cohérence et à l’efficacité des mesures prises par les autorités de l’État, ni n’introduire de la confusion dans les messages délivrés à la population par ces autorités.


4/ Le maire peut-il imposer le port de masques sur le territoire communal ?

Non. Le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise (Ordonnance du 9 avril 2020 N° 2003905) a suspendu un arrêté du maire de Sceaux imposant le port du masque ou ou, à défaut, d’un "dispositif de protection buccal et nasal" pour tout déplacement dans l’espace publique de la commune. Non pas que le maire ne pouvait pas prendre un tel arrêté par principe, mais qu’en l’espèce les circonstances locales invoquées ne justifiaient pas, selon le juge, une telle mesure restrictive de libertés.

Le maire justifiait son arrêté par :
  •  sa volonté de renforcer les "mesures barrières" actuellement en vigueur, le port du masque étant d’ailleurs recommandé par l’Académie nationale de Médecine pour les sorties nécessaires en période de confinement ;
  •  son souci de protéger les personnes âgées, population particulièrement vulnérable face au virus, lors de la levée future du confinement.

Le juge des référés écarte ces arguments :
  1. en se prévalant de telles considérations générales, dépourvues de tout retentissement local, le maire ne justifie pas que des risques sanitaires sont encourus, sur le territoire communal, du fait de l’absence de port d’un masque lors des déplacements des habitants ;
  2. toutes considérations liées à la levée du confinement concernent une situation future qui n’est, pour l’heure, pas envisagée ;
  3. s’agissant des personnes âgées, des mesures ont déjà été mises en place par la commune pour protéger cette population, notamment à travers un service de courses livrées à domicile ;
  4. rien ne permet de retenir que la protection des personnes âgées ne pouvait pas être assurée par des mesures moins attentatoires aux libertés fondamentales.

Sur recours exercé par la commune, le juge des référés du Conseil d’État va plus loin et laisse très peu de latitude aux maires en la matière. En effet, le juge des référés exige que le maire puisse démontrer, non seulement que la mesure est, de manière impérieuse, rendue indispensable par des circonstances locales particulières, mais également, qu’elle ne porte pas atteinte à la cohérence et à l’efficacité des mesures prises par les autorités de l’État, ni n’introduise de la confusion dans les messages délivrés à la population par ces autorités. Autant dire que la latitude des maires en la matière est étroitement liée à la doctrine de l’État sur le port des masques, laquelle peut encore évoluer notamment dans le cadre de la mise en œuvre du déconfinement prévu à partir du 11 mai.
 
Pour en savoir plus sur l'information des nouveaux élus sur les mesures de police prises, la réouverture des marchés alimentaires, la consultation du conseil municipal avant la prise d'une mesure de police restrictive des libertés... rendez-vous sur le site de l'Observatoire SMACL.


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